
Le feu sacré : la pratique in spiritu | Sylvie Cotton
20 mars 2012
"" par Sylvie Cotton
Paru dans http://www.recitsdartistes.org/textes-theoriques/10_le-feu-sacre-la-pratique-in-spiritu-sylvie-cotto, le
Le feu sacré : la pratique in spiritu
Le feu sacré : la pratique in spiritu
Éclairages en fondus sur l’art et la spiritualité
1
devant l’âtre
Le feu de l’écriture
Une fois de plus, soumettre les intuitions et les expériences au feu du langage. Les mots sont parfois pires que tout ou mieux que rien. Ils ne parlent pas toujours en leur nom. Ils demeurent des signes-miroirs dans lesquels nous projetons, du creux du soi, vues, interprétations, peurs et espoirs. C’est avec ça qu’on écrit et qu’on parle.
Ce texte rassemble des mots choisis et agencés pour parler de la pratique artistique de celle dont on dit que c’est moi. Je ne sais s’ils seront toujours vrais pour aborder ma recherche, mais pour le dire simplement, aujourd’hui, ils se trouvent où je suis. Cette recherche je la pose comme étant à la fois intérieure et extérieure, spirituelle et artistique. Qu’il soit interne ou externe, l’atelier demeure un lieu intime de pratique et de réflexion (dans les deux sens du terme), un espace par lequel le travail de l’esprit rencontre, par frottement et répétition, celui du corps. Et c’est ainsi que le feu finit par y prendre.
L’étymologie du mot atelier renvoie à un tas de morceaux de bois, et par extension à la boutique de l’artisan. Ce soir, mes idées font les bras qui se penchent pour ramasser les fagots dans le grand champ de la conscience, le grand atelier. Et l’écriture, ah la belle créature ! Elle enfourne mes brassées de fagotins et y met de l’air, du souffle et tel une architecte, agence dans l’âtre les rondins à l’espace, la forme au vide. Le feu nécessite structure et attention. Quand l’attisée crépite, quand le feu murmure ses premières ondes orangées, son travail est engagé. Je sais à ce moment que ce sera un bon feu. Et je sais aussi que lorsque c’est mal parti, on ne peut pas tout reprendre à zéro, sinon on se brûle. Il faut travailler avec ce qui est là. La maïeutique de l’écriture fonctionne de même. Le dessin fonctionne de même. L’installation fonctionne de même. La performance fonctionne de même.
Voilà. C’est parti. J’écris. Il me fallait mentionner leur manière d’advenir en moi pour que les mots se pointent sur la langue de mon esprit. C’est ce que je nomme pratique in spiritu. Ils m’ont maintenant en eux. Faudra en retrancher plusieurs en cours de processus. Mais avant de prétendre au résultat, quand il faudra qu’on pousse, on poussera, quand il faudra renoncer, on renoncera, quand il faudra laisser venir, on laissera venir. Et pour savoir ce qu’il faudra faire et quand, j’aurai le feu à l’œil et le cœur dedans.
2
crépitements
Le feu sacré
M’étendre sur le sujet1 de ma pratique artistique, voilà ce que ce texte cherche à me faire faire. Il faut que je m’y allonge comme devant son feu, sa nécessité, sa chaleur (pour ne pas dire sa brûlure) pour sentir ce que faire de l’art veut dire. Mais aussi, pour tenter de répondre — peut-être — à la question : Pourquoi le faire ? Cela dit, ma pratique artistique étant de très près liée à ma pratique spirituelle, laquelle se manifeste par la pratique de la méditation, je ne pourrai m’étendre sur le sujet de l’une sans m’étendre sur le sujet de l’autre. Pourquoi faire de l’art ? Pourquoi méditer ? Pour nourrir un feu sacré. Pour nourrir le sacré. Et, qu’on le veuille ou non, parce que le ça crée. (J’ai aussi été étendue sur le divan de la psychanalyse pendant 9 ans. Et je me souviens être passée du divan au coussin avec une aisance et un « timing » parfait.) Cela dit, même si tous les artistes ne prétendent pas à une pratique spirituelle, j’en connais peu qui ne traitent pas leur pratique artistique telle une chose sacrée justement, un espace sacré, un lieu sacré, ou qui oseraient démentir le respect qu’ils portent à leur propre démarche créatrice. Ce penchant appartient au monde de l’esprit et à une forme de quête, d’engagement, d’effort et de transformation.
Pourquoi donc une pratique est-elle sacrée pour l’artiste ? Sa pratique le relie à la vie de son esprit, le garde en lien de communication avec son atelier intérieur. Cet aspect de la vie artistique, et qui la fonde, est inaliénable. En ce sens, il ne faut s’étonner de la résonance du sacré avec le thème religieux puisque c’est par ailleurs la fonction de la religion, son étymologie dit : religuere, relier la matière à l’esprit, la forme à la non-forme. La pratique artistique une forme de religion ? Pourquoi pas ?
Intuitivement, je poursuis avec l’analogie du feu. Elle semble me faire dire que c’est l’élément qui, par frottement, relie le spirituel à l’artistique, l’esprit à la création.
Selon le dictionnaire que j’ai sous la main en ce moment (je me trouve au Vermont dans un centre spirituel justement), la définition du feu serait « un phénomène consistant en un dégagement de chaleur et de lumière produit par la combustion vive d’un corps ».
Je jubile. En fait, je ne m’étonne plus des réponses que me retourne le monde phénoménal. Dans le cas du présent texte, la métaphore du feu est on ne peut plus… lumineuse. Je me sens excitée par cette circonstance favorable. Je me sens à la place que je dois prendre en ce moment comme si les causes et les conditions avaient pris ce projet par la main.
Combustion lente
Le corps qui se consume est l’esprit de l’artiste offrant l’énergie et le fruit de sa recherche et qui, lorsqu’il se donne en même temps que son travail, fait effectivement se « dégager une chaleur et une lumière » qui peut aller jusqu’à l’exaltation pour lui/elle et les autres. En art performance, cette chaleur est doublée par le corps physique investi dans l’instant même de la création qui est une offrande « on the spot », dans l’immédiateté et la simultanéité qui unit émetteur et récepteur.
Mais pour arriver à cette union, à cette chaleur, il est nécessaire de pratiquer encore et encore. Il est nécessaire de répéter bien que sans répétition et avec fraîcheur. Patience. Confiance.
La pratique in spiritu
Comme pour l’engagement sur la voie spirituelle, l’aventure artistique consiste à entrer dans l’atelier intérieur. En fait, on pourrait dire que c’est une vie comme les autres en ce sens qu’elle consiste à se pencher sur une tâche et à s’y familiariser. Alors qu’est-ce qui la différencie et lui donne un aura magnétisant ? On imagine les artistes libres, alors qu’ils ont une grande responsabilité.
En effet, plus j’y retourne et me remets à l’ouvrage, plus je constate que c’est un drôle de métier. On dispose d’un espace-temps pour s’occuper de quelque chose qui ne possède pas encore de forme (et parfois jamais), que personne ne demande à voir sauf d’abord soi (et même pas toujours), qui n’est ni fonctionnel ni nécessaire, mais qu’il est essentiel de faire naître et de voir apparaître devant soi, pour enfin le donner, et le plus souvent, animé d’une vibration viscérale pas toujours confortable. Cela vient du doute, du dévoilement mais aussi de l’arrachement à l’atelier. L’extraction et la transplantation demandent en effet un lâcher prise. C’est très généreux. Pour couronner le tout, l’expérience est le plus souvent traversée et vécue en solo. La grande solitude. Même quand on veut la partager, elle ne se livre que partiellement. Impossible de rendre la texture de la traversée. Et ce qui rend cet étrange cheminement encore plus solitaire, c’est que les autres sont en fait toujours présents, en soi, comme en rêve. Des fantômes d’influences, de supporteurs ou de critiques. Bref, une assemblée de surmoi dont on apprend à s’affranchir — c’est le processus. Cette solitude est profonde parce qu’elle donne le pouvoir de se reconnaître seul et en connexion.
La pratique artistique se développe à travers une attention à ce à quoi l’esprit cherche à donner forme (idées, intentions, expériences) et une vue (orientation, démarche, manière, style) se manifeste dans une présence et un corpus de plus en plus raffinés et libres, finalement offerts et parfois exposés.
Pour le dire autrement et pour employer des mots que j’ai déjà écrits ailleurs, l’art consiste à montrer ce que l’on cache. L’art consiste à révéler sa nature humaine. L’art consiste à chercher la justesse et non à intimider les autres. L’art consiste à se laisser raffiner par la vie. L’art consiste à inspirer le monde. Puis à l’expirer. L’art c’est comme l’amour, c’est difficile.
Quant à la voie spirituelle, elle consiste à se laisser distiller par la vie, à entrer en rapport avec son esprit et à s’engager par ce rapport à développer une curiosité intime de ses propres états intérieurs (surtout ceux qu’on préfère le plus souvent ignorer) et des manifestations extérieures que ces états entraînent. Vivre, travailler et composer avec cette matière, comme avec une matière à modeler, et faire de son existence une œuvre d’art. Autrement dit, créer sa vie à partir des matériaux que l’existence nous donne. Aussi, tenter l’aventure en regard du moment présent. Y voir et y faire sa demeure, son refuge. Et pour y arriver, renoncer aux espoirs comme aux peurs. Le défi est grand. Les fruits délicieux car ils libèrent des attentes et des espoirs.
Les étapes de la voie se déploient à travers une présence attentive et consciente à ce que manifeste l’esprit (émotions, névroses, idées, comportements) et comment il accueille ces manifestations (méthode, lignée, voie, forme — nommée aussi religion), produisant, de plus en plus accrue et libre, une présence authentique de manière organique, spontanée, épiphanique.
Bref, la pratique in spiritu, en complément à celle in situ, consiste en un va-et-vient entre l’atelier intérieur et l’atelier extérieur, entre la forme et l’informe, entre le spirituel et le séculier, bref entre la vie et la vue. Au bout du compte, les voies spirituelles et artistiques fournissent des rencontres incessantes avec les phénomènes, incluant sa propre incarnation comme phénomène.
Fusion
J’assistais récemment à une conférence sur la spiritualité et la sexualité et j’ai trouvé très intéressant qu’y soit soulevé le désir d’union en tant que trait commun aux deux domaines. Je crois que la pratique artistique partage aussi ce désir d’union. Elle le porte secrètement ou plutôt, sans le nommer ainsi. Le désir de se rapprocher d’une qualité de vérité intérieure et de la transmettre, le plus souvent, en créant une forme. Et cette forme n’est-elle pas produite en état d’union avec ce qui cherche à apparaître ? C’est exactement ce que je nomme pratique in spiritu.
Dans tous les cas, il semble qu’une dimension supplémentaire trouve grâce par les pratiques : l’union est double. En effet, artiste, amoureuse ou moniale, la personne qui pratique souhaite unir à la fois sa réalisation à la vue de son propre esprit mais aussi à l’esprit de l’autre. Elle veut rejoindre l’autre, lui transmettre quelque chose. C’est une offrande. Il ne s’agit pas de convaincre, mais bien d’offrir une vue intime, manifestement ou secrètement.
Comme l’a exprimé Alain Fleischer lors d’un récent colloque tenu au Musée d’art contemporain de Montréal sur le thème Art et religion : « C’est la vie spirituelle qui permet la vie artistique. » Je crois que le passage peut aussi se présenter à l’inverse : la pratique artistique ouvre la voie de la pratique spirituelle. Menée en pleine conscience, la voie artistique génère une sagesse, stimule une prégnance en l’instant présent. Des révélations en apparaissent une à une, doucement.
Mais, en définitive, je n’aime pas vraiment faire ces distinctions et comparaisons. Alors, dès maintenant, je cesse de commenter les deux positions — artistique et spirituelle — comme si elles étaient différentes, et je les fonds l’une dans l’autre, là, maintenant. Voilà. Fusionnées. Grâce au feu de l’écriture. Alchimique.
3
embrasement
Étudier son esprit est déjà un acte créateur
Quand on se tient dans le vent qui circule entre les questions et les réponses que la pratique nous soumet, on est lié à ce qu’on fait. C’est si bon. Et c’est si beau. Et je crois même que la beauté de l’œuvre commence par là — voire même, qu’elle en dépend — c’est-à-dire par la liaison intime entre l’artiste et sa question, laquelle devient son trésor. On est encore dans une dynamique d’union. Une dialectique naturelle à l’être humain chercheur de lumière. L’anagramme ESPRIT-PISTER le démontre de manière amusante : l’un est déjà dans l’autre. La recherche est la raison d’être de l’esprit. On est vivant pour chercher la lumière et absorber ses vitamines existentielles.
S’abreuver aux fraîcheurs fondamentales de la pratique, suppose de porter ces questions. Elles sont très simples car elles sont concrètes et s’impriment dans la vie, pas à pas. Chacune se résume en un mot : Qui, Quoi, Comment, Où, Quand, Pourquoi. Toute pratique repose sur leur fondation. C’est pratique la pratique ! Absolument terre-à-terre. En les transposant dans l’atelier intérieur, j’ai vu comment m’expliquer à moi-même la résonance des raisons d’être de la pratique. Des pratiques. La pratique artistique et la pratique spirituelle. En y répondant par la voie du schéma (une approche semblable à celle de la carte heuristique) on peut trouver une voie, sa voie. La voie de sa pratique.
Qui ? On naît tous des autres
Qui est là pour pratiquer ? Un soi bardé de peurs et de désirs. Peurs de quoi ? De sa propre force et de sa propre faiblesse. Désirs de quoi ? D’expression et de reconnaissance. La projection contient à la fois l’héroïque et le peureux. L’expérience oscille entre ces deux états. Qui vit tout cela ? La pratique engage une dimension de recherche sur ce soi qui travaille avec soi toute la journée. Pour y arriver, il paraît essentiel de déposer son esprit dans son esprit, d’être là et de s’accompagner. Présente !
Mais l’esprit est la partie du soi qui a le plus de mal à comprendre la réalité parce qu’il est aux prises avec ses idées fausses car fixées. Pour s’assurer d’entrer réellement en contact avec son esprit, il est incontournable d’entrer en relation avec la partie du soi qui croit tout ce que réfléchit l’esprit et qui veut solidifier son identité ou sa position. Cette vue sur la pratique artistique m’a été transmise par une de mes enseignantes de l’art Shambhala, Tanya Tree : « L’art consiste à entrer en relation avec son ego. »2 Autrement dit, il est nécessaire d’entrer en contact avec ses peurs et ses espoirs en envisageant clairement comment l’esprit s’y prend pour diffuser ou masquer l’effet de ces émotions. En fait, on doit absolument s’entraîner à rencontrer les phénomènes intérieurs comme extérieurs si on veut saisir leur qualité d’apparence. La voie spirituelle est là. La voie artistique également. Cela dit, un artiste peut réaliser des œuvres magnifiques au regard de l’histoire de l’art, sans savoir qu’il a une vie spirituelle, sans la nommer ainsi, ou sans en vouloir. Pourtant, plus on s’y intéresse, plus on constate que chaque être élabore une vie spirituelle. Seul son degré d’activité varie. Tout esprit a donc le pouvoir de se montrer intègre et de contrer la confortable ignorance qui le garde loin du déroulement de sa vie. Sa force se tient là : être authentique et s’offrir comme présence authentique. Ce qui a pour résultat de fait fuir l’ego qui n’a plus de raison d’être. Son combat est inutile, voire ridicule. L’esprit ainsi ouvert (et on pourrait dire le cœur ainsi ouvert) amène à prendre parole pour oser révéler ce que l’on apprend sur soi et sur le monde, et qui est toujours et avant tout intérieur, comme un rêve. Cette réalisation reste commune à tous les êtres. En ce sens, on est tous la même personne. Et au final, un même grand esprit chercheur.
En conclusion, le QUI comprend donc au moins trois personnes qu’il est important de reconnaître et de connaître : le soi qu’on croit être, celui qu’on ignore (et qu’on est), puis celui qu’on croit qu’on doit être. C’est déjà beaucoup. C’est avec ça que je travaille, avance, tâtonne, cherche, recule et saute.
Mais il y a plus dans ce QUI. Il y a les autres. J’appelle ici en exemple le projet que j’ai présenté à la Biennale de Montréal au printemps 2011 titré On naît tous des autres ou Sapience. Le projet consistait à transformer en confettis l’ensemble de mes notes de cours et textes photocopiés étudiés pendant mes études à la maîtrise en muséologie. Le résultat avait pour effet d’unir pour toujours la théorie et la pratique, ma théorie et ma pratique, et de fonder en mon travail toutes les pensées et leurs auteur-e-s comme un geste irréversible célébrant l’union des êtres en la création. Car ils sont toujours là : idoles, émules, collègues, compétiteurs ou complices. Ceux à qui on veut plaire, ceux à qui on veut répondre, historiquement ou non. Ceux à qui on veut partager. Ceux qu’on aime et ceux qu’on craint. Ils sont là dans l’atelier du soi qui cherche à pratiquer la nature de son esprit. À y voir clair. Et pour y voir clair, il ne peut que reconnaître sa propre projection du pouvoir qu’il accorde à l’illusion de la division. L’altérité est bienfaisante et bienveillante et elle désaltère (sic) quand je la laisse me prendre. Au contraire, elle est malveillante si je la redoute et m’y oppose. C’est ce qu’on appelle le doute sur la voie spirituelle. Et le doute, s’il est passif et écrasant, a pour effet de voler confiance et dignité. Il brouille les perceptions et éteint la lumière. Alors le feu s’étouffe. Le résultat est le même en création. S’il n’est pas vu, reconnu, regardé ou interrogé, le doute assassine. Je ne parle pas ici du doute ressenti envers autrui ou une forme théiste, mais envers son propre potentiel à s’épanouir dans l’ouverture et la lumière.
Quoi ? La pratique n’est pas ce qu’on voudrait faire mais ce qu’on fait vraiment
Je remarque que ma pratique exige et entraîne un engagement, un effort, une démarche, le dépliement d’une intention, une recherche, une question (ou un doute justement parfois ?), une répétition, une motivation, un moteur, une vision, une vue, des obstacles, une discipline, des réalisations, des joies, des phases déserts et des phases abondances. Tous ces traits sont rassemblés dans l’art comme dans la spiritualité.
Pour l’artiste comme pour le pratiquant spirituel, la pratique est la matière première, le fondement. Alors, qu’est-ce que la pratique exactement ? Je dirais, une recherche et un passage à l’acte par rapport à cette recherche. Se mettre en état de recherche. Engager une énergie dans une recherche. Puis, faire le premier pas, comme en amour. À partir de ce grand pas, je veux installer une conduite, un comportement, une façon de chercher qui s’accorde à mes vues. Voir que tout est matériau pour la pratique, même les manies, les hésitations, les joies, les conflits, surtout les questions (temporaires) et les réponses (temporaires), toujours les désirs et les peurs. Ma pratique consiste à me rendre accessible ce tout intérieur. Puis à lui donner une forme visible ou invisible aux yeux du monde. J’insiste sur la forme invisible car il ne faut pas toujours chercher à plaire aux pouvoirs rétiniens qui dirigent ce monde et qui nous ont entraînés à voir sans regarder ! J’ai par exemple réalisé de nombreux projets de nature immatérielle et ils ont rejoint beaucoup plus de personnes que je ne l’avais imaginé. La société et le milieu des arts visuels sont prêts à recevoir des projets artistiques intangibles. J’ai, entre autres projets, passé du temps, pendant des heures, avec des inconnus les yeux bandés ou main dans la main sans qu’aucune documentation n’intervienne dans nos rencontres ni qu’aucun résultat en soit garant. Tout le monde, participant ou public, a compris et apprécié la liberté de cette démarche. On jouit de la liberté qu’on se donne. Sans compter que « les choses sont ce qu’on pense qu’elles sont », dixit Alejandro Jodorovsky.
Comment ? En sortant par en-dedans ! Maintenant !
De quelle manière détendre et étendre ma pratique ? Comme toute pratique soutenue, en la forgeant au feu du temps, au feu de maintenant. Comment ? En regardant vraiment ce qu’on fait. La pratique implique que je me nomme ce que je fais. Que je le reconnaisse, que ça me plaise ou non. Vouloir se connaître par cœur car la libération consiste à sortir par en-dedans. C’est ce que Socrate signifiait par sa célèbre formule : « Connais-toi toi-même ». Comment s’y prendre ? Tout d’abord, faire de l’espace et installer une discipline. Des surprises en émergeront, épiphanies spontanées, innocentes et neuves ou désenfouies et raconteuses de vieilles et nouvelles histoires. La pratique c’est de noter les habitudes, les fuites, les obsessions. Tenir le fil quotidiennement. Même si c’est peu ou pas longtemps ou pas autant qu’hier. Aller voir dedans ce qui se passe. Comme pendant la méditation. Être là, tout simplement, pour s’accompagner et se faire le cadeau du grand miroir. Ce n’est pas facile tous les jours. Ce n’est pas difficile tous les jours non plus. Des jours ça marche, des jours ça ne marche pas. Même ça c’est intéressant.
Je sens que plus on se connaît et qu’on est présent à soi dans l’instant, plus on crée des œuvres touchantes et qui transmettent de l’authentique savoir sur l’existence. C’est la beauté dont je parlais plus haut.
Outre la discipline, pour installer une pratique, il semble devoir avoir recours à la bonne vielle méthode de la répétition. Suivre un horaire, suivre un rythme (le sien) et recommencer, recommencer et recommencer. La répétition doit être verticale, et pas horizontale. Je veux dire par là que la répétition aide la recherche qui creuse, qui fouille, qui devient archéologie de l’esprit et de ce qu’il invente de bon comme de mauvais pour se propulser ou pour se retenir. Mais dans l’espace protégé de l’atelier intérieur, rien n’est mauvais. Tout se travaille. Tout est œuvrable. Quel beau mot. Surtout en conjonction avec le feu et son pouvoir transformateur.
Toute pratique commande du temps de travail, labeur et élucubrations, mais aussi, du temps libre, du temps vide. Des périodes contemplatives. L’esprit ne peut pas toujours être en train de prendre des décisions. L’esprit a besoin de goûter à la vastitude de sa nature, l’une de ses qualités premières. Sans temps libre, il n’y a pas de pratique. Sans contemplation, il n’y a pas de pratique. Sans espace, il n’y en a pas non plus. La pratique est espace. Pour y arriver, il faut soit prévoir des moments à ne rien faire, ou soit écouter le besoin de contemplation lorsqu’il se pointe. Plus difficile.
La douceur et la patience font partie de la discipline, car l’esprit est entourloupé par l’urgence du faire. Dans ce domaine, la lecture des livres de la nonne bouddhiste Pema Chödrön m’a beaucoup éclairée. En entrant en contact avec ses propres perceptions et expériences, on réalise qu’on peut faire confiance en sa propre capacité à les traiter. Comme en ce moment, j’écris ce texte en avançant parfois à tâtons. Je trouve l’expérience très difficile aujourd’hui. Je dois y mettre un effort que je considère important. Ma tendance est de croire que c’est douloureux. D’où vient cette idée ? Les agressions envers soi comme envers les autres peuvent être très subtiles. Impatiences, déceptions, exigences, colère. On peut se parler. Personnellement je le fais toujours : « Prends quelques minutes et arrête d’écrire pour sentir la texture de ce que tu crois être la douleur, la terreur d’écrire. Qu’est-ce que c’est ? Énergie. Et encore ? Empressement. Et encore ? Peur. Et sur quoi se fonde cette peur ? Espoir. Je veux que ce soit parfait. » Pourtant, mon expérience me dit que je n’ai qu’à suivre les mots et à leur faire confiance. Après je viendrai les relire et on se parlera en privé. Je peux écrire sans me précipiter ni me tyranniser. Rien de plus. Rien de moins. La magie est là : passer à l’acte avec douceur. La douceur trouve aussi une alliée dans le lâcher prise. Reconnaître un combat et laisser faire. Laisser le combat perdre. Laisser gagner l’union. Le plus grand des secrets.
En établissant ses propres principes et ses propres valeurs, on peut s’aider à cheminer dans une voie de patience et de douceur. Et puisque ces règles de base nous transformeront, elles pourront ou devront forcément aussi changer. On les adopte puis on les adapte. On peut devenir son propre enseignant. Je fais le vœu de devenir une bonne enseignante pour moi-même.
Enfin, pour entrer en contact avec sa propre expérience et mieux connaître le soi-même en question, plusieurs moyens sont à notre disposition : journal, rituel, groupe de discussion, groupe de création, lectures, etc. Même l’activité physique qui commande beaucoup de vigilance est une bonne manière de se découvrir et de faire des réalisations. Je crois aussi qu’il est bien de s’organiser à l’occasion des retraites d’atelier, des intensifs, de prendre ou de donner des ateliers, et d’assister à des colloques ou à des séminaires. Personnellement, j’aime bien l’écriture, les retraites à la campagne ou les séjours en résidence. Surtout si ces activités me poussent à tenir le fil justement, et non seulement à relater dans mon journal de pratique, comme je l’ai fait si longtemps, les faits, les obstacles et les bons coups. Une pratique d’écriture sans attrait pour le tissage entre les répétitions profondes, par exemple, tourne en rond inlassablement.
Pourquoi ? Pour apprécier l’existence et se laisser vivre par la vie
Ses obstacles comme ses facilités. La situation humaine est mystérieusement précieuse. La pratique fournit un outil pour apprécier pleinement cette situation. Pour reconnaître en soi le pouvoir d’être. Simplement d’être. Et pour célébrer ce fait d’être. Dans l’atelier, intérieur ou extérieur, ces moments existent de manière parcellaire, interrompue. Je suis dans l’appréciation quand par exemple je me trouve complètement absorbée par le travail et que je sais que je le suis. Je souris : je sais où je suis. L’esprit sait ce qu’il est en train de faire. Le corps et l’esprit sont synchronisés et cela apporte une joie ordinaire, simple, saine. Cette expérience est une forme d’appréciation. La pratique du moment présent la garantit. Donc la pratique existe vivante, va activement. Et non pas comme quelque chose qui arrive, soudainement, sans qu’on y soit pour quelque chose. Elle me réveille et c’est à moi de la garder éveillée grâce à mon attention et à ma vigilance.
Pourquoi encore ? Pour mieux reconnaître les autres qui rencontrent en général les mêmes difficultés que soi. Pour apprendre à sentir et à « lire » les situations, les conflits, les chaos. Et pour réaliser l’insondabilité de tous les liens et de tous les phénomènes. C’est pourquoi la pratique a aussi pour effet de s’abandonner à soi et aux autres, de se laisser pétrir par les circonstances. On risque ainsi de réaliser des œuvres et des rencontres beaucoup plus vives, générant de la lumière et de la nourriture pour l’esprit de tous.
Où ? Partout !
Puisque l’atelier se révèle avant tout intérieur, il est partout. Il est vrai pourtant que la situation idéale consisterait aussi à pouvoir jouir d’un lieu où s’installer pour s’y épandre, d’un espace privé où l’on peut se laisser être. Laisser être ce qui veut. Le laisser respirer là. Le mélanger avec l’air et le temps de cet espace « protégé ». Protégé dans le sens qu’un espace privé assure un terrain d’essai et d’exploration plus aisé, plus concentré, moins distrait. On se laisse si facilement distraire. La caverne ou l’ermitage permet (bien que pas automatiquement) de percevoir plus directement et de discerner ce qui est vrai pour soi avant de l’offrir à l’autre.
Cela dit, l’atelier (ou la salle de méditation) bien que revêtant une aura traditionnellement très investie, ne constitue pas une nécessité ou une obligation. Beaucoup d’artistes possèdent un atelier sans l’utiliser. D’un autre côté, le fait de ne pas fréquenter son atelier quotidiennement ou régulièrement ne devrait pas empêcher d’en installer un. Si un tel espace peut générer et entretenir les illusions quant au sens d’une pratique, il peut également régner comme un phare, un refuge et soulager les vacillements que font naître le doute et le manque de continuité en regard de la discipline et de l’engagement. À chacun et chacune de trouver son équilibre. Toute formule est permise. L’atelier doit être fait sur mesure, au-delà des clichés et des modèles prédominants. Toujours se méfier de ce qui a cours sur la manière dont les choses doivent être tissées, organisées ou créées. La loi est anti-créative. Si je n’avais jamais vu un atelier comment serait-il ?
Le plus important consiste donc à se donner un espace-temps pour pratiquer. Le lieu reste secondaire au final, même s’il peut être aidant pour certaines personnes. Mais retenons principalement que l’atelier peut être partout. C’est le tour de passe-passe de la dimension spirituelle : tout est matériau, tout est pratique, tout est atelier. L’ordi, l’aéroport, le sous-sol, le cahier, la chambre, la cuisine. Dans le train, dans le bain, dans la forêt.
Quand ? Toujours ou n’importe quand
Quotidiennement ou périodiquement. Quand ça va bien. Quand ça va mal. Le jour, le soir, la nuit. La discipline installe une routine, un dosage temporel régulier. Idéalement au quotidien, pour tenir le fil. Mais ce rythme ne s’avère pas toujours possible. Ne pas s’en faire avec cette donnée au départ car elle pourrait enrayer tout élan. S’engager et trouver le rythme qui convient à sa vie dans le moment. Laisser la pratique nous guider. Laisser la pratique nous guider. Laisser la pratique nous guider. Le plus important demeure l’intégrité et l’engagement. Mais on ne veut pas d’un engagement qui soit le bouclier de l’insécurité. Un engagement dans une pratique dont on sait qu’elle apporte un sentiment d’accomplissement joyeux et d’appréciation simple.
Dans chacune des questions de base que pose la pratique, se camoufle une idée reçue liée à une idéalisation : l’atelier romantique, le moment parfait, le matériel adéquat, la meilleure idée, etc. La question du QUAND cache le grand préjugé de l’âge. Plusieurs personnes pensent qu’il est trop tard pour entamer une pratique, quelle qu’elle soit. Parce qu’ils ont 30, 40, 50, 60, 70, 80 ans ! C’est tellement faux ! L’âge n’a aucune importance car nous vivons dans le moment présent. J’ai moi-même commencé assez « tardivement » puisque c’est à 35 ans que j’ai plongé dans l’aventure artistique et à 40 que j’ai commencé à pratiquer la méditation. C’est maintenant qui compte ! Même au seuil de la mort, il peut être sain d’entamer une pratique. Si elle se trouve souhaitée, désirée. Je sens un lien subtil entre la spiritualité et la fougue de l’anarchisme, c’est-à-dire sa mission d’immédiateté et son refus de la procrastination et de l’hésitation si caractéristiques de notre temps.
4
braises
Voici des éclats de lumière, tisons et brandons, de ce que la pratique me fait. Elle a beaucoup d’effets sur moi et celles des autres sur eux aussi. Je le vois. De quoi cela parle-t-il ? D’intimités de toutes sortes.
La peur de pratiquer
La pratique nous approche de la vérité. C’est pourquoi elle nous fait si peur. On a du mal à s’y engager parce qu’on sait qu’elle nous fera perdre nos illusions. C’est sa fonction. Pourtant, l’existence même nous place déjà dans cette situation par le passage obligé de la naissance, de la vieillesse et de la mort. Mais nous ne voyons pas que notre vie est une pratique. Nous la voyons comme la répétition pour une générale qui viendra plus tard. Elle ne viendra pas. Jamais. Le spectacle se joue aujourd’hui. À l’instant. Toujours. La peur de pratiquer la page blanche, l’atelier neuf. Le canevas vierge. Tout cela est la peur du vide. La vacuité nous paraît étrangère alors qu’elle nous habite plus que tout.
L’espace de la pratique
La pratique procure un espace possible de dilatation dans l’atelier du temps, de dissolution dans l’atelier du soi, et de transformation dans l’atelier du cœur. Ce qui revient à dire que quoi qu’il arrive ou se présente à l’esprit ou sur la grande table interne de l’atelier, la pratique l’inspire puis l’expire. Tout est matériau pour la pratique et toute forme peut devenir une forme en transe. Une forme en transition. L’atelier intérieur représente l’espace de la pratique, son cœur et le mien. Exactement. S’y trouve tout ce dont j’ai besoin. Le fait d’y entrer ne garantit pas de succès extérieur mais promet un effet intérieur de réalisation.
S’abandonner à la pratique : perdre connaissance
La pratique nous amène à faire ce qu’on n’a pas appris à l’école. Même à l’École des Beaux-Arts. (En passant, je ne suis pas allée à l’École des Beaux-Arts.) Comment apprendre à faire comme si on n’avait pas appris ce qu’on a appris ? On a besoin de changer de vue. Il s’agit d’être sans connaissance. De la perdre. Et perdre connaissance c’est m’abandonner à l’inconnu en croyant que l’inconnu prendra soin de ma présence. La foi n’est-elle pas tout simplement cette confiance fondamentale en la suite des instants, en la force fantastique de l’existence ? Accepter de passer de l’état de stabilité à celui de recherche pure menant à une déstabilisation, et ce faisant, voir que l’art n’est autre qu’une union entre le possible et l’inconnu, entre le temporel et le sacré. C’est la pratique secrète dans l’atelier intérieur. Aucun autre espace n’est plus vaste ni aucune autre action n’est plus transgressive. Je crois que tous les artistes la connaissent. Chaque artiste croit-il que ce secret est le sien ?
Le doute dans la vie artistique comme dans la vie spirituelle
Le doute est ce qui rend la pratique nécessaire et viable. Sa manifestation est aussi signifiante qu’un autre émoi ou peut-être les contient-il tous... Ne chassons pas le doute. Devenons familiers et familières avec l’objet du doute. Il nous donnera la clef de la confiance.
L’excitation et la pratique
La pratique fait naître et monter une excitation savoureuse ou anxieuse. Ça dépend des jours. Par exemple, aujourd’hui, j’écris et à certains moments je dois me lever pour danser. Je dois le faire. Les mots parlent aussi par là. Par mon corps. Je suis soulevée par une énergie qui connaît le volcan, qui connaît le vent. Je suis la nature. Je suis le monde. Tout écrit quand le désir c’est d’écrire. Je suis le rythme. Dans le sens des deux verbes, être et suivre.
La libido de la pratique
Au même colloque où Fleischer raconte la vie spirituelle et artistique de Zurbaran, Bernard Sichère, appuyé par Heidegger ou Malraux, et encore par Freud ou Benjamin (c’est le bal des bals du « name dropping »), commente et définit l’œuvre d’art de tant de manières qu’il attise ma curiosité. Par exemple, que la contemplation d’une œuvre et non son appropriation, procure une « jouissance énigmatique » à laquelle la sexualité humaine ne serait pas étrangère. En fait, il affirme que le « phénomène artistique révèle le mieux la complexité de la sexualité humaine », non pas par la représentation, mais par l’énergie. Je sais que c’est vrai mais je ne saurais aujourd’hui l’expliquer.
Ce que je sais, et que mon corps sait, et que d’autres artistes savent aussi, est que la création appelle la libido et l’ouverture. Mes jambes s’ouvrent en même temps que mon cœur quand dans l’atelier l’existence est sans frontière ni conditions. Ma peau s’ouvre en même temps que mes yeux sur ce qui doit être vu et senti. La sensation exprime toutes les tessitures. La perception s’allonge sans pudeur. Il n’y a plus de concepts. Il y a la vie. Toute et pleine. De la fibre et du sang, des liquides et du vent. Ça gronde. Et ça ne veut plus rien parce que c’est déjà tout.
Visiter les replis de son esprit
Cela pourrait consister à vouloir répondre à la question suivante : « À quoi je pense quand je crois ou quand je réponds que je ne pense à rien »
L’œuvre comme épiphanie
C’est à propos du trait noir que j’ai tracé l’autre jour sur un papier après avoir médité. Avec de l’encre noire. Très simple. Mais surtout, très parfait. Car il montre ce qu’il est et d’où il vient. J’ai dit : « C’est un petit miracle ». Et mon ami Carl de rétorquer : « Non. C’est un grand miracle ». Sichère dirait : « C’est une épiphanie ! ». Et il aurait raison car ce trait n’est autre que l’énergie qui lie l’espace et la forme, la terre et le ciel, l’humain et le divin.
La chorégraphie de l’intuition
Autre principe à l’œuvre dans la pratique : la danse de la recherche intuitive et spontanée. Cela demande de prendre sa place. Vous direz mais chez soi ce n’est pas sorcier. Dans son propre atelier, c’est sans souci. Faux. Même chez soi il peut être difficile de céder la place que sa pratique veut prendre. Des signes ? Le corps se soulève et s’oriente sans but. Il devient pure énergie. À une présence consciente, il dira tout de ce que l’esprit est en train de connaître : l’énergie sexuelle, la satisfaction dans le processus, le doute dans la recherche, la rencontre avec le vide, l’exploration entre vacillement et découverte, l’acceptation de l’inconnu souverain.
Esprit de corps
Il y a déjà cinq ans de cela, j’ai commencé un autre texte sur l’ensemble notionnel que convoque le corps artistique : signature, comparaison, compétition, pudeur, identité. Maintenant que la pratique m’a fait pratiquer et m’a fait voir que le soi est plus grand que soi, il serait peut-être temps que je le termine. Car se laisser prendre par l’espace qui englobe tout a cet effet merveilleux : on se sent plus petite que soi et plus grande que tout.
5
mort du feu
Les flammes ont monté, puissantes, et maintenant presqu’étouffées, avec moi essoufflée, sommes prêtes à devenir fumée. Paraît que les feux deviennent vieux aussi et qu’ils doivent mourir. C’est Bachelard qui en parle dans Psychanalyse du feu.
Pourquoi faire de l’art ? Pour apprendre à vivre. Pourquoi méditer ? Pour apprendre à mourir.
C’est l’heure de fermer les ouvertures. De mourir à ce texte et à ses propositions. Le moment est venu de replonger dans un nouveau monde, celui de la page blanche. Mais puisque tout est déjà là et qu’il ne s’agit que de patiemment l’extraire et de le parfumer de sa sueur de chercheure, je suis tranquille. Voilà la pratique : une douce pratique de la présence. À soi. À toi. Dans la grande solitude du vaste ensemble humain.
Sylvie Cotton
Tokyo, Barnett, Montréal
2011
Remerciements
Je tiens à remercier Danielle Boutet de m’avoir invitée à décortiquer mon expérience pour prendre parole et écrire ce texte ; mes parents, Louise et Roger, pour leur encouragement constant ; ma grande et fidèle amie Michèle Burque, qui toujours sort de son sac à trucs le brillant miroir de la bonté et de la douceur, et enfin, Pema Chödron et tous les enseignants dont les paroles et les écrits me gardent sur la voie.
Notes et références
↑M’étendre sur le sujet est le titre d’une de mes expositions présentée en janvier 2006 à la Galerie Joyce Yahouda à Montréal et qui offrait un foisonnement d’œuvres, d’objets personnels, de fragments ou de matières d’atelier et d’écriture, et dont la thématique consistait à tracer des liens entre différentes notions liées à la figure de l’artiste et au corps artistique (signature, identité, doutes, influences, etc.).
↑L’Art Shambhala est un enseignement du Vénérable Chögyam Trungpa, Rinpoché (1940-1987), fondateur de Shambhala International, de l’Université Naropa, et figure marquante de la transmission en Occident du bouddhiste tibétain. L’Art Shambhala est une vue et une pratique issues de la méditation et par lesquelles se révèle toute la puissance de l’esprit créateur lorsqu’il engage directement ses perceptions dans le vif du monde phénoménal.
Le feu sacré : la pratique in spiritu
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Spiritual Forms : Notes For Thinking About Art and Spirituality
L’intelligence du mot "soi"